GASPARD MALO PERSONNAGE DE ROMAN

 "- On m'a fait monter de nouveau en chemin de fer pour un grand voyage, et je me suis trouvé tout à coup dans une ville où il y avait beaucoup de navires... Sais-tu ce que c'est toi, Bertine, que les bateaux et que la mer?...

- Non... Je n'ai vu ça que sur des images.

- Moi je suis plus savant que toi puisque j'ai voyagé, dit Charlot fièrement. J'ai retenu le nom de la ville. C'est Dunkerque. On me conduisit chez un pêcheur de Rosendaël, nommé Michel Zegger, qui tout de suite me mit dans son bateau et m'emmena avec lui à la pêche. Il n'était pas méchant ce Zegger, mais il était dur, trop dur. Il me nourrissait bien et sa femme me donnait toujours des habits chauds; le froid, le vent et la tempête ne faisait rien à Zegger. Il avait la peau comme du cuir; mais il croyait que moi j'étais comme lui... J'ai tant souffert de cette vie-là que j'ai cru que j'allais mourir. Il a bien fallu, un jour, me laisser à la maison et faire venir un médecin...

Pendant trois mois, je n'ai pu reprendre la mer. Je me promenais tous les jours, au soleil, dans les sables des dunes... Je m'asseyais dans les herbes piquantes. Je m'endormais. J'étais bien... Un jour, en me réveillant, j'aperçus un vieillard qui me considérait, appuyé sur sa canne. Il était bien vêtu et il avait une figure fine extrêment douce, avec des cheveux tout blancs... son collier de barbe était tout blanc... C'était un ancien marin, bien sûr... Il me dit:

   - Que fais-tu là, mon enfant?

   - Vous le voyez, monsieur, je me repose.
   - Je ne te connais pas. Comment t'appelles-tu?

   - Charlot. Je suis placé par l'Assistance chez le pêcheur Michel Zegger, de Rosendaël.

   - Un dur marin, fit le vieillard.

Et il m'interrogea encore...

A la fin, il me caressa la joue, en disant:

   -Pauvre petit! Pauvre petit!... Demain, mon enfant, j'irai trouver le directeur de l'agence. Je te reprendrai à Zegger, car cette vie que tu mènes est trop rude pour toi. Il faut être autrement trempé pour l'existence du pêcheur et on a eu tort de te placer chez lui. Consentirais-tu à venir chez moi? Je suis riche. C'est moi qui ai créé ce village de Rosendaël. Il m'appartient en entier... Réponds-moi.

   Oh! oui, monsieur, je vous suivrai de tout mon coeur, et je ferais mon possible pour que vous soyez content de moi.

   - Attends deux jours, et tu auras de mes nouvelles.

Il me caressa encore les joues et partit. Bien qu'il me parût très, très âgé - plus de quatre-vingts ans peut-être - il marchait pourtant d'un pas robuste. Par derrière, on ne lui aurait pas donné plus de ciqnuante ans.

En rentrant chez le pêcheur, je racontai à la mère Zegger l'entretien que je venais d'avoir. Elle me fit faire le portrait du vieillard pour le reconnaître. Mais quand je lui eus dit qu'il possédait tout le village de Rosendaël, elle s'écria:

   - Bien sûr, c'est M. Gaspard Malo, le brave homme! Tu es chançard, mon Charlot. S'il s'intéresse à toi, te voilà sauvé...

   - Oh, il m'a peut-être déjà oublié! fis-je.

Je le disais mais mon coeur bondissait d'espérance.

Quand Zegger revint de la pêche, il affirma aussi que jamais ce vieillard n'avait manqué à sa parole.

Nous attendîmes un jour, puis deux jours. Personne. Le troisième jour, rien non plus. Alors, sur la dunes, je me suis mis à pleurer. Le soir, je trouvai Zegger et sa femme très tristes. J'étais habitué à leur visage, et jamais je ne les avais vu comme ça. ...

Alors, la femme dit:

   - Mon pauvre petit, nous savons pourquoi M. Gaspard Malo n'est pas venu comme il te l'avait promis...

Je crus à une bonne nouvelle et je me mis à sourire. J'étais déjà consolé, mais ce ne fut pas pour longtemps.

La mère ajoutait...

   - Il est mort dans la nuit d'avant-hier!"

La description de Gaspard Malo correspond bien à celle que l'on connait de ce personnage. Il a en effet 80 ans quand il meurt le 8 septembre 1884 à son domicile avenue du casino à Rosendaël.

 Ce texte est extrait d'un roman "Les enfants martyrs" paru dans différents journaux du début du XXe siècle. Son auteur est Jules Mary (voir photo ci-contre).Né à Launois-sur-Vence en 1851 dans les Ardennes, il est à la fois journaliste, écrivain dramaturge et feuilletoniste.

Il paraît très bien connaître Gaspard Malo et Rosendaël qu'il cite dans plusieurs romans. Il a sans doute cotoyer Francisque Sarcey et Edmond About, amis de Gaspard Malo, qui avaient chacun  une villa à Rosendaël plage.